Regret d’enfilade

Au temps d’un frisson clair dépoitraillant la vague,
Éparse au gré du sang verdelet des écumes,
Lentement sur le soir, je tournais mon œil vague,
Au seuil immaculé des cuirasses de brumes.

Des viornes fanaient sur des robes spectrales,
Abominablement de leurs cistres charmeurs,
Des faunesses cambrant leurs torses noirs de râles,
Enchantaient l’yprau d’or de soudaines clameurs.

D’opalines amours fantasquement figées
S’irisaient, tandis que d’amertumes gorgées,
Ployait sous les ifs noirs ma romanesque étreinte.

Et par un libre essor de terrestres parfums,
Maints austères griffons talonnant leur empreinte,
D’un vol vertigineux fendaient les astres bruns.

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THOMAS FALLET

Poème inédit

Ténèbres d’or

Aux hasards dégradants de la femme idolâtre,
Et par le chant lacté d’une austère habitude,
Las des blêmes sermons, des armures d’albâtre,
Un Chœur de vœux ignés borde ma lassitude.

Tout ne clame en ton sein que soupir et trépas,
D’où la blondeur se mire au marbre archangélique,
Et par le rut informe en d’augustes rachats,
S’écaille aux yeux l’ardeur d’une instance idyllique.

Svelte Anadyomène aux guivres d’or ailées,
Aux âges morts, contrits, des idoles foulées,
Dont la suprême altesse à ta coupe s’incline :

Par le fiel adipeux des intimes ciboires,
Je sens de part en part dans ma chair orpheline,
S’enfoncer les clous bruns des lunaires déboires.

THOMAS FALLET

Poème inédit

Les cascades

Dans un désastre obscur d’où scintillent des nimbes,
Abominablement de licornes ruées,
Se cabre au soupirail érectile des limbes,
Le vierge enfant dont l’œil cercle boue et nuées.

De sa voix sirupeuse aux accents de viole,
S’épanche un vain soupir sur le soir illuné,
Dont le spasme profond que son âme étiole,
Ensemence la peur farouche du damné.

Scrutant les alentours, sans bâton ni bougies,
Parmi les monstres d’or, les coulures d’éthers,
Il nargue au sillon clair fendant les eaux rougies,
Ces yoles d’exilés pleins de chancres amers.

Et par l’humble candeur de ses paupières rousses,
Qu’attise le flot lourd de secret balancier,
L’enfant meurtri ne voit s’exposer sur les mousses,
Un cruel et navrant sarcophage d’acier !

THOMAS FALLET

Poème inédit

Les Veilleurs d’orées

Quand parmi les ors froids, indulgents et sculptés
De diamants élus par la pourpre exaltés,
Mon âme, absent tombeau, de sa tour cinéraire,
Amèrement vomie au soleil littéraire,
Ondule indolemment vers le délice éclos :
– Des remords anciens, de nitides îlots,
Ceints de lourds feux brisés par la danse infidèle
Du renouveau qu’un Art obscur et trouble appelle,
Escortent, miséreux, les noirs rocs, les splendeurs,
De l’or simple au vol blanc des célestes grandeurs.
Sur les barbes de sel dont le tiède aboi cingle
En échos de cristal, quelque futile épingle,
S’étoile d’un khôl d’or, devers l’azur léger,
Ce diamant fatal où vient l’ombre nager.
– Vois : comment puis-je encor railler sa course agile,
Qu’éplore l’Orient d’une ivresse docile,
Et, par sa tresse avare aux frissons des courroux,
Pétrir du vieux lion tous les épais crins roux ?
D’un milliard de pleurs insoucieux ou vagues,
Usant leur clair amour sur le flanc pur des vagues,
La sublimation du carnage expié,
Roidit ce long chef d’or, lui-même estropié…
Est-ce vivre ou mourir selon la fable immense ?
Le cercle des mots nus tour à tour recommence,
Échauffant les flots doux de quelque sûr démon ;
(Avare ou gracieux chef-d’œuvre du limon).
Éclose la croisée où tinte un siècle vide !
Ô toujours plus égal à ma torpeur avide,
Ourlant au frais gravier sublimant nos périls,
Des carènes de plume en desseins puérils.
Ainsi qu’un vent fondu dans des soupirs de flûtes,
Buvant des rimes d’or, mobiles dans leurs chutes,
L’amère jouissance aux yeux ensevelis,
Se dissipe, entrouvrant ses unanimes plis.
Cependant, les démons qu’éveille la diane,
S’attroupent sous l’auvent ceint d’agreste liane,
Et, rêvant des exils qu’un vol ivre dissout,
Délectent les passants effluves de leur soûl.
Hélas ! À mes doigts purs que le corail ébauche,
S’effeuille un triste lys, lamant sa rive gauche…
Sur le marbre saillant que cerne un sable blond,
Mon solaire idéal aux penchants du vallon,
N’est plus qu’un lourd amas de chair confuse et molle,
Dont les noirs vermisseaux tourmentent l’Auréole
Qui, selon les strideurs profondes des clairons,
Irise au seuil battu des lointains avirons,
Ces secrets moutonnants d’où la froideur désigne
Des glaciers dont la fonte immense se résigne.

THOMAS FALLET

Poème inédit

Pour une inconnue

J’ai pensé que tu étais la mort
Fi de la grande faucheuse
Ton teint livide, ton regard creux, ton corps squelettique
Étaient plus crédibles
Ta cape rouge sang, ta robe noire minuit
Tu étais
Belle à faire peur
Sous les arbres et les lampadaires
Mon Eurydice, ma Perséphone, ma gothique, mon succube
Te reverrais-je
À mon dernier soupir?

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MICHÈLE BALY

Poème inédit

Les gandins

Les voilà, convoitant la rancune à fourbis,
En de frêle muance, ô ternes affidentes,
Qu’enivre d’or hilare aux pans des flots croupis,
Kallipyge mirant ses fesses cascadantes.

Pleins de l’éther vorace aux réclames iniques,
Exhumant les chagrins de leurs poumons ardents,
Ils vont, raillant toujours des œillades cyniques,
Les idiots véreux, dégorgés et tordants !

Une brise d’amour sur le jour effaré,
Étouffe l’action de spasmes inégaux,
Qu’un lourd gâchis de force en leur poing bigarré,
Entache au creux muet d’émétiques travaux !

Sur leur casque nitide ourlé de mèche folle,
Se pâment les flancs morts des brioches solaires,
Et du glauque troupeau de lèvres sans parole,
Murmure un vieux Zéphyr d’irritables colères.

De leurs corps pressurés par les glaçantes peines,
Vient sourdre le Léthé de la vie effroyable,
Où, se rassérénant aux amours souterraines,
S’engorge la rupture à leur Progrès fuyable.

L’infini remuement des servages claustraux,
Fourmille derechef sur leurs deux mains croisées,
À l’heure où des grabats s’éveillent les bourreaux,
Pétrissant la vigueur par des gorges lésées.

Épouvantable Orgie aux sanglots de futailles,
Tout gronde et vous flagelle aux clameurs des maudits,
Et l’ulcère infamant vos lubriques entrailles,
Attise le cœur fauve et sombre des taudis !

THOMAS FALLET

Poème inédit

Urne cinéraire (Remémoration)

Ainsi, peut-être hors de sa vision darne,
D’un pestilentiel effluve, la lucarne
Se drape aux vapeurs d’or de son antre éclairci ;
La Cyprine indolente, âpre et farouche si
Le Phœnix attendu, en répliquant se cabre,
Ouvrant aux mobiliers que le fardeau délabre,
Cet arcane usuel dont les métaux luisants,
Dorment au sein des plis cadavéreux des ans.
D’une ambiguïté, sereine, la névrose,
Opiniâtrement, de son dressoir morose,
Exhume, horizon mort d’une ample aridité,
Les divers monstres noirs de sa nitidité.
On ne sait quel émoi d’une invisible cendre,
En ses pieuses mains, s’acharne à redescendre,
Et, sortant des marais léthéens et voilés,
S’effare impunément sous des plafonds talés.
Pour ne point avilir la fête nuptiale,
Selon cet œil souffrant que prône, glaciale,
Une ombre héréditaire en l’urne d’un pleur peint :
Supérieurement, sur l’éclat cisalpin,
Se dresse un masque froid de grâces ponctuelles,
Aux sublimations des rixes actuelles,
Où rit, du clair amour au sonore beffroi,
Le démon secoué d’un sépulcral effroi.

 

THOMAS FALLET

Poème inédit

Chagrin subalterne

Ton fard ennoyé dans l’âpre fonte des rêves,
À mon cœur alangui n’a daigné jamais sourdre,
Et l’escarre enfanta par ses nubiles grèves
D’un monstre de porphyre aux seins tus de ressoudre.

Notre libation, par de lutteuses trêves,
Ensanglante l’essor blêmi de jaune tourdre,
Et, d’un lange attristé, orne à point sur les drèves,
L’insensibilité, de l’azur à la foudre.

Par le tiède baiser du fauve renouveau,
Se meurt un frisson d’aile aux braises du couvot,
D’où le Néant s’épeure en sa geôle perfide.

Sinon qu’à l’Immuable aux promptes accalmies,
Nos membres claudiquant par le matin livide,
Insurgent le sel d’or des antiques momies.

THOMAS FALLET

Poème inédit