Seule maintenant

imagiaire pimprenellesRose en bouton
Dans la gelée,
Te voici penchée,
Vouée à des lendemains
Moins reluisants,
Seule maintenant.

Tu fus, jadis,
La reine des fleurs.
Tu faisais follement
S’emballer tous les cœurs.
Et tu te retrouves,
Toi le fleuron d’un temps,
Seule maintenant.

Souviens-toi, quand on t’enfila au bout d’un fusil,
Quand les Teutons, on les aurait, pardi.
C’était bien avant nos sectorielles de feu et de sang
Toutes aussi absurdes cependant…

Et te vois-tu encore à la boutonnière d’un ministre
Quand tout était toc et pimpant et que rien n’était triste?
Les politicards ne sont plus que des flatulents,
Des boucs émissaires maintenant.

Toi, tu te dressais, dans le temps des guitares,
Et de la paix, et de l’amour, et de ce fol espoir.
Le pouvoir des fleurs va de plus en plus déclinant,
Creux et vide maintenant.

Mais tu reviendras, parce que tu es éternelle,
Que tu es sororale et que tu es fraternelle,
Et que tu es attendue par ces milliers de gens,
Tous seuls maintenant.

Rose en bouton dans la gelée,
Te voici penchée, figée,
Mais vouée à des lendemains plus gorgés,
Plus puissants. Je le sens, je le sens…

Tu vas mourir, rose. Seul maintenant
Nous reste l’espoir de tous nos recommencements.

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PAUL LAURENDEAU (pour LAUBER)

L’imagiaire des pimprenelles, ÉLP éditeur, 2013, 3,49 € – 4,59 $.
Pour de plus amples informations, ou pour lire des extraits de cet ouvrage, voir la page qui lui est consacrée sur le site d’ÉLP éditeur.

Fragonard

imagiaire pimprenellesC’est pour dire que ce que fait
Le peintre Fragonard,
C’est quand même pas du bobard
et que, dans ses aquarelles, Watteau
Nous mène quand mème pas en bateau.
Mais matez moi cette folle robe fripée.
On dirait du crémage de gâteau.
Allez y, croûter ça dans un tableau
De Fragonard ou de Watteau.
Ce n’est pas chose simplette
Surtout, qu’en plus, elle oscillait, l’escarpolette…
Non j’insiste, Fragonard
C’est quelque chose comme du grand art
Et pour imiter Watteau
J’ai besoin, moi, d’un fichu de bon appa-reil photo.
Matez, mais matez, entendez ma complainte.
Ça a à voir avec les teintes
Et avec la texture des volumes.
Pour vous le dire, je prends la plume.
Insistons, insistons.
On reproduit ici quelque chose comme l’émotion
Captée dans les tableaux d’un temps.
Qu’est-ce à dire? Il serait encore présent
Au fond de la nature, le choix de Fragonard?
Elle nicherait toujours dans les oripeaux
Si secrets de la rose, l’esthétique de Wat-teau?
C’est pas une mince nouvelle ça.
C’est pas de la petite info.
Un modeste cliché (pour mon amour à moi)
Et revoici Fragonard, revoici Watteau.
J’en bave des ronds de chapeaux.
J’en reste sur le dos.
Mais matez-moi les boursoufles de ces roses.
Je vais quand même pas vous le narrer en prose.
Non, non, tous les arts sont dans la nature.
C’est empirique, ici, c’est problématisé.
Mort aux modes, mort à la parisianité.
Fragonard, Watteau. Levez-vous. Témoignez.

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PAUL LAURENDEAU (pour LAUBER)

L’imagiaire des pimprenelles, ÉLP éditeur, 2013, 3,49 € – 4,59 $.
Pour de plus amples informations, ou pour lire des extraits de cet ouvrage, voir la page qui lui est consacrée sur le site d’ÉLP éditeur.

Au revoir

imagiaire pimprenellesBon
Au revoir
Les mâchouilleurs
De paille.
Je me taille.
On est pas ici
Pour abreuver
Mais pour
S’explorer
Introjecter
La sensation
De nos guibolles
Cernées
D’un lagon.
Et foncer
Vers le point
Infini
Que notre tarin
Nous indique
Au bout
De la vie.
Je vous laisse bien boire.

Au revoir.
Et me bêlez pas des légendes débiles
De méchants loups ou de crocodiles.
De quelque chose, tous, nous mourrons
Et je vais pas attendre après la tremblante du mouton
Ou le fil du cisaille d’un garçon boucher.
Jamais entendu causer d’un certain Prométhée?
Il vola le feu. Moi je joue dans la flotte.
Vous me direz pas. Chacun sa marotte.
Je fais ça pour la sensation, pas pour la gloire.

Au revoir.
Je vous lègue mon espace dans le trécarré.
Broutez, broutez. Moi je veux tant nager.
Je vous lègue ce coin de ciel au dessus du pacage
Sous lequel je fus si volage.
Et, oh… oh… pas de bêlements pitoyables.
Ça ferait juste par trop minable.
Et ça me ferait pas vraiment changer d’idée.
Quand il faut y aller, il faut y aller.
Vous m’oublierez vite, allez. Qu’on se le dise.
Vos oreilles se chargeront d’une petite brise.
Vous yeux s’alanguiront dans les sonnailles du soir.
Ils continueront de bien regarder sans voir.

Au revoir.
Je me barre.
On est pas ici pour abreuver
Mais pour s’explorer.
Et tout est dit.
Et je vais pas me gêner.

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PAUL LAURENDEAU (pour LAUBER)

L’imagiaire des pimprenelles, ÉLP éditeur, 2013, 3,49 € – 4,59 $.
Pour de plus amples informations, ou pour lire des extraits de cet ouvrage, voir la page qui lui est consacrée sur le site d’ÉLP éditeur.

La chanson de Saint-Samson

imagiaire pimprenellesVoici le temps
De l’automne,
Des sonnailles
Des moissons.
Il faut refaire
La chanson
De Saint-Samson.

Les feuilles ont pris
Des couleurs
Et elles valsent
Sur l’horizon.
Il faut refaire
La chanson
De Saint-Samson.

Le fruit d’amour
Devient dense.
Et il se rue
Dans la danse.
Il faut refaire
La chanson
De Saint-Samson.

Jouissons car l’hiver approche.
Il vient réclamer sa rançon.
Il faut refaire la chanson
De Saint-Samson.

Saint-Samson danse comme un dingue
Avec Dalida comme de bon.
Il faut refaire la chanson
De Saint-Samson.

L’automne c’est la folie des âges
Qui s’éclatent juste avant de claquer.
Il faut refaire la chanson
De Saint-Samson.

Il faut s’y ruer sans gamberge.
C’est une manière de fatalité.
Il faut refaire la chanson
De Saint-Samson.

Voici le temps de l’automne
Chantons et que rien nous étonne.

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PAUL LAURENDEAU (pour LAUBER)

L’imagiaire des pimprenelles, ÉLP éditeur, 2013, 3,49 € – 4,59 $.
Pour de plus amples informations, ou pour lire des extraits de cet ouvrage, voir la page qui lui est consacrée sur le site d’ÉLP éditeur.

La prée des sangliers

imagiaire pimprenellesIci, les sangliers
Vont se baigner
En une danse
En une ronde.
Ils établissent
Le raccord
Entre deux monde,
Celui du vrai
Et celui de l’imaginé.
Cent mille fois
Je vais à la prée
Des sangliers.
Deux fois j’en vois un
En train de se mirer.
C’est la pulsion prospective
En pleine action.
C’est penser au concert
Au cœur de la répétition.
Où intérieurement
Se préparer,
Dans l’escalier,
Au torrent des passions en préparation…
C’est bien vrai, vrai de vrai
Qu’il n’y a rien de laid
Dans la baignade rafraîchissante d’une laie.
Mais le fait qu’elle soit si rare,
Que sa réalisation soit vivement aléatoire,
En fait les ébats de quelque pâle princesse
Qu’on mate depuis une lointaine forteresse.
Le plus merveilleux, ce sont les marcassins.
Ils sont mollets comme des petits coussins,
Pivelés et trouillards, furibards et replets.
Inutile de le dire: on ne les voit jamais.
Mais ils sont omniprésents, de par l’attente,
Comme cette si fameuse tente
Que m’enverra, ce matin là, ma tante.
Singularis porcus vous disiez? C’est bien le mot.
Bondance de ma vie, mais je ne vois que de l’eau.
Pourtant il fait chaud pour crever.
Ce serait le chrono idéal pour se baigner,
Tas de sangliers mesquinement planqués,
Tas de rêves en breloques
Et de promesses brisées.
Oh, le cosmos se moque
Ici, juste ici, des promeneurs par trop illusionnés
Car la prée aux sangliers
C’est l’ardeur torride de s’abandonner
À anticiper.

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PAUL LAURENDEAU (pour LAUBER)

L’imagiaire des pimprenelles, ÉLP éditeur, 2013, 3,49 € – 4,59 $.
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Vert télescope

imagiaire pimprenellesVert
Télescope,
C’est une couleur
Instantanée
Sur laquelle
Ésope
Ne nous a rien
Raconté.
Une fleur mystère
Émerge.
Il y a une folie
Qui couve.
C’est une galère
Qui touche la berge
En la rade
Des mauvais jours.
Et le vert
Télescope
Sert d’écrin
À cette gemme
Acidulée.
La galère se vide de ses marins
Ils sont au port pour enfin aller danser.
Et la verdeur télescopique
Reste coite, comme paumée.
Son filigrane fantasmatique
Ne peut que de loin observer…
Une fleur en mon cœur s’est plantée.
Oh, je ne suis pas un misanthrope
Mais je la préfère à toute l’humanité
Et j’en remercie le vert télescope,
Cette couleur nature, crucialement ancillaire
Qui m’a permis d’adéquatement visualiser
L’accostage de la petite galère
Au havre de la visibilité.
Bondance, elle a su renoncer au mimétisme,
Vert télescope s’en étant mêlé.
Oui, oui, c’est bien une affaire de chromatisme,
Pour dire que ça joue dans le coloré contrasté.
C’est que, comme je te dis, vert télescope,
C’est une couleur instantanée
Sur laquelle Ésope
Ne nous a rien baratiné.
Et non, cette fleurette n’est pas une galère.
Elle est une obsession de mon regard,
Un scotome sur cet œil de verre,
Ce télescope vert sans peur et sans gloire.

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PAUL LAURENDEAU (pour LAUBER)

L’imagiaire des pimprenelles, ÉLP éditeur, 2013, 3,49 € – 4,59 $.
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Ève

imagiaire pimprenellesLi val parfunt
Et les ewes curant
,
Comme on disait
Dans mon jeune temps,
Parce que Ève
C’est l’eau.
L’unique,
Le primal,
Le beau.
Ève a un ventre
Infini.
Et inutile
De lui dire merci
Ou de lui rendre
Quelque culte futile
En continuant
De la cerner
Dans nos barils
Et de la couper
De vin
Au cachot de nos Dives
Bouteilles.
C’est qu’Ève est une force objective
Qui jamais ne dort, qui toujours veille.
Perlant dans tous nos concerts, toutes nos danses,
Ève est quelque chose comme une essence.
Je veux autant dire par là qu’elle est un carburant
Faisant tourner LE moteur et cliqueter les bielles
Que quelque chose de l’ordre du principiel.
Une essence.
La source de la vie.
Faut le redire… même si c’est déjà dit.
Et, au fait, Ève n’a jamais chapardé de pomme.
Ça c’est un bobard inventé par les hommes.
Croquez une pomme, ce sera pour constater
Qu’Ève habite ce qu’elle ne peut pas avoir volé.
Et Ève en a rencontré des tas de serpents.
C’est pas pour rien qu’un serpent de mer
C’est quelque chose d’obsédant,
La lubie du pervers,
La caution du méchant.
Et Ève si on l’accuse, comme ça, de tout
C’est qu’on se fie par trop sur elle.
On lui décharge nos monceaux d’immondices
Dans le visage, sous les aisselles.
On la prend pour acquis sans malice
Et cela instaure de fort longuettes trêves
Dans la limpidité d’Ève.

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PAUL LAURENDEAU (pour LAUBER)

L’imagiaire des pimprenelles, ÉLP éditeur, 2013, 3,49 € – 4,59 $.
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Nous vous survivrons

imagiaire pimprenellesNous sommes de la nature
Et nous vous survivrons,
La roche parce qu’elle est dure,
L’oiseau parce qu’il est fripon.
Oh, vous nous altérez
En en faisant un plat.
Et vous oblitérez
Le tout de nos habitats.
Et vos poètes s’en plaignent.
Voyez, oyez céans.
Et ça ne protège pas
Le fond de nos océans.
L’oiseau y cherche des huîtres.
Il pourrait en parler.
Limpide comme une vitre
Son œil est quand même altéré.
La roche, elle, elle ne dit rien
Et elle ne cogite pas.
Elle n’est jamais qu’un point
Dans l’équation, n’est-ce pas?
La musique de la danse
Grince, fausse, est désaxée
Par la lourde outrecuidance
Du Minus Historicisé.
Vous en êtes, tous autant…
En surchauffant vos cambuses,
En mordant à belle dents
Dans votre malbouffe obtuse.
Nous payons vos gabelles.
Nous subissons vos lois,
Déchargeons les poubelles,
Déclenchons vos émois
Et vos atermoiements.
Aussi, sans le vouloir, nous vous jugeons
Et c’est pas tout de suite évident.
Mais nous vous survivrons…

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PAUL LAURENDEAU (pour LAUBER)

L’imagiaire des pimprenelles, ÉLP éditeur, 2013, 3,49 € – 4,59 $.
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Liberté

imagiaire pimprenellesEt alors,
C’est une lande bretonne
Qui aujourd’hui
Nous donne
Notre petite méditation
Du moment.
Quand celle-ci passe,
Eh bien, on la prend.
Le vieux chemin de toujours
Qui s’y déploie
Offre un choix.
Yogi Berra disait:
«Si jamais, sur ta route,
Une fourche apparaît,
Prend-là.»
Ce n’était pas une invitation
À se faire cultivateur
Ou attrapeur
De fond
De pantalons.
Mais bien une suggestion toute spontanée
À contempler
La liberté
Dans ce qu’elle a de problématique,
De troublé, de questeur, de non-idyllique.
C’est que la liberté charrie des peurs aussi.
Elle n’est pas que bonhomme et sympathique.
La liberté a son usufruit… mais aussi son prix:
Celui de devoir lutter
Simplement de l’avoir assumée.
Le combat libertaire est avant tout intérieur.
Et ce cinglant devoir des chairs qui fait qu’on l’aime
Ne le départit en rien de sa dimension de dilemme.
Adonc… et… pour tout dire… Franchement, on s’étonne
De ce qui peut courir de crucial sur une lande bretonne.

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PAUL LAURENDEAU (pour LAUBER)

L’imagiaire des pimprenelles, ÉLP éditeur, 2013, 3,49 € – 4,59 $.
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Jadis

imagiaire pimprenellesPort romain
Ou normand,
Ta sourde puissance
Perle sous l’eau lisse.
Tu es un havre
De jadis,
Un témoin du temps
Des temps d’avant
Toutes nos machines volantes.
C’était quand il fallait
Attendre qu’il vente
Avant de partir
Pour la Nubie.
Jadis, au temps
D’avant les bruits,
Et les volutes,
Et les vidanges,
Du temps des pêches,
Des vendanges,
Des escarmouches locales,
Des stries de sang.
On était vieux à trente-neuf ans.
On était romain ou normand.
Et ce jour là on rentrait au port,
Fébrile, dans le tapage du négoce.
C’était avant Roland et avant Saragosse,
Du temps des voiles et du commerce,
Des rames, des glaives, des herses
Et d’un tas d’autres vieux outils.
Bon, la nostalgie, c’est une brumeuse engeance.
Il faut en épouiller notre vile ignorance
Et, oui, se souvenir, mais à gros traits, sans fouthèser.
Se recueillir, sans façon, évoquer
Tous ces autres nous-même qui passèrent par là
Et que, non, nous ne sacraliseront pas.
Elle perle sous l’eau lisse, ta belle puissance,
Port romain ou normand (que je suis ignorant !).
Ta réminiscence pointe sous l’eau dense
Tu es un havre de jadis,
Un inerte témoin du temps d’avant ma folle danse

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PAUL LAURENDEAU (pour LAUBER)

L’imagiaire des pimprenelles, ÉLP éditeur, 2013, 3,49 € – 4,59 $.
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